1989, Orphelinats roumains

Cette étude est en lien direct avec celle d’Auschwitz ou la question de la considération de l’être humain comme déchet, question approchée de septembre 2009 à juin 2010.

Décembre 1989, c'est la révolution en Roumanie. "Ceausescu, nu mai E !" (Ceausescu n'est plus là !). Deux mots, "Roumanie" et "Conducator", se sont incarnés en moi par surprise, au détour d’un écran de télévision. C’est donc par l’image que mon premier rendez-vous a lieu avec ce pays. C’était la joie, l’enthousiasme, la liesse, l’euphorie, la solidarité, l’espoir. C’était aussi « Libertate », « Jos comunismul », « Jos Ceausescu » et le fameux V de la Victoire. En même temps, je ressentais un certain abattement de la part de ces Roumains à travers le petit écran. Il y avait une certaine tristesse, des pleurs… La grisaille ambiante rajoutait à ce sentiment de morosité.

Mon premier rendez-vous avec la Roumanie a eu lieu aussi avec la mort en direct, sur écran TV, du dictateur et de sa femme, Nicolae et Elena Ceausescu.

La Roumanie s’incarne et commence à vibrer charnellement en moi à la chute du "Conducator". Puis-je parler d’un "appel" en écho à « Ceausescu, nu mai E ! » ?

Les portes du pays s'ouvrent ainsi que celles des institutions comme les "casa de copii" (maisons d'enfants) ou "camin spital" (mouroirs pour êtres humains différents)... Je vais m’y rendre à plusieurs reprises.

L’an dernier, pendant que j’élabore des questions autour d’un écrit et de créations concernant l’humain à Auschwitz, je n’ai cessé d’avoir à l’esprit ces corps d’enfants croisés dans le camin spital de Bîlteni en Roumanie. Puis le décès de ma nièce roumaine, Ana, qui aurait pu faire partie de ceux qu’on nommait les « irrécupérables » de Bîlteni m’a décidé. Je me suis saisi de ce qui faisait retour pour moi depuis déjà pas mal de temps. 

De juillet à novembre 2010, je recherche et j’écris en tentant de répondre à la question du pourquoi la fabrique de ces institutions ? Deux mesures caractéristiques de la politique de Ceausescu peuvent expliquer l’existence de ces mouroirs :

- Le décret 770/1966. Le Conducator décide de « repeupler » le pays en interdisant le contrôle des naissances. Ceci s’effectue contre toute attente dans la mesure où les communistes étaient arrivés au pouvoir avec pour slogan de libérer la femme et d’assurer sa pleine égalité avec l’homme. L’Etat veut alors jouer le rôle de régulateur des comportements démographiques en introduisant d’abord des lois jugées modernes à l’époque puis d’autres à but explicitement natalistes, visant à assurer une « croissance démographique suffisante ». Le fœtus est alors « propriété de l’État » ("Le fœtus est propriété socialiste de la société dans son ensemble", disait Ceausescu), la procréation un devoir. Les familles sont déculpabilisées d’abandonner leurs enfants, l’Etat promettant de s’en occuper si elles ne peuvent pas les élever…

- La loi n°3 du 26 mars 1970 qui organise la création d’établissements accueillant les enfants dont les parents ne peuvent assumer l’existence.

Ce sont eux que je vais croiser lors de mon premier voyage, en octobre 1990, et des suivants. Enfants non désirés pour la plupart, ils ont été, de surcroît, bannis de la société des Hommes. L’handicapé, celui qui est différent, va à l’encontre de la société prônée par Ceausescu. Il n’y a pas sa place. Il est improductif au sens économique de la république socialiste de Roumanie. Seul celui qui peut escompter atteindre le but essentiel visé par le pouvoir, celui dont la personnalité multilatérale est développée, celui qui devient un constructeur conscient du communisme ou bien encore qui permet à la Roumanie de s’élever sur de nouveaux sommets de progression et de civilisation, celui-là alors seulement a sa place parmi la société des Hommes. Les autres, les irrécupérables sont envoyés dans des mouroirs. Ils sont alors à tout jamais séparés de la société des Hommes par des barbelés…

Ces créations sont des témoignages dans l'après coup, l'après Auschwitz...

Boîtes aux lettres... Cutii postale...

Ces boîtes aux lettres viennent de Târgu-Jiu, la ville dans laquelle je suis arrivé…, où se plantent mes racines roumaines.

Voyage de lettres.

Voyage de mots.

Une adresse. A toi. A vous.

Ma Roumanie est faite de cela.

De mots de cette langue qui m’anime, qui sonne à mon oreille et me met en joie.

Et des maux que j’ai entendus, éprouvés jusqu’à vomir.

Elle m’habite ma langue fraternelle.

Que dit-elle ?

Une histoire ?

L’Histoire ?

Sans doute vient-elle dire, vient-elle faire entendre l’histoire de ce pays qui est en partie mien.

Il s’agit d’une lecture de cette histoire qui m’a traversé.

Une certaine vision subjective que j’ai envie de partager.

Bon voyage !

 

Aceste căsuțe poștale provin de la Târgu-Jiu, orasul in care am ajuns... Unde sunt plantate rădăcinile mele românești.

Călătorie scrisori.

Cuvinte de călătorie.

O adresă. Pentru tine. Pentru voastra.

România mea e făcută din ea.

Cuvintele de limba pe care mi conduce, care suna la urechile mele și mă face fericit.

Și inflamat că am auzit, a încercat să vomite.

Ea trăiește în mine limba mea fraternă.

Ce spune?

O poveste?

Istorie?

Probabil, doar spune, ea a auzit povestea de o țară care este parte a mea.

Aceasta este o lectură de această poveste care, prin mine.

O viziune subiectivă pe care vreau să împărtășesc.

Drum bun !

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